Postulat n° 21 - Rapport final du Conseil communal

Résumé du postulat

Les villes et leurs aménagements n’échappent pas aux inégalités de genre. L’écrasante majorité de noms de rue portant des noms d’hommes en est un exemple mesurable qui reflète et reproduit ces inégalités. La sous-représentativité des femmes et des personnes sexisées dans les noms de rues et emplacements participe en effet à leur invisibilisation dans l’espace public aussi bien que dans l’Histoire.

En effet, une étude menée par la RTS en 2019 dans différentes villes romandes conclut qu’à Fribourg, 10% des noms de rues et emplacements honore des femmes. Le postulat affirme que seules Adèle d’Affry - bien que sous le pseudonyme masculin "Marcello", Madeleine Eggendorffer, Eléonore Niquille, Catherine Repond, Athénaïs Clément, Sainte-Agnès, Sainte-Catherine et Sainte-Thérèse ont une rue ou une place à leur nom.

Si la féminisation des noms de rues et de lieux peut apparaître symbolique, elle répond néanmoins à plusieurs problématiques concrètes. Équilibrer la représentativité des noms de rue, c’est en effet équilibrer la place qui est faite à chacun·e·x dans la ville et s’éloigner d’une ville faite par et pour les hommes. C’est aussi reconnaître à sa juste valeur la place des femmes et des personnes sexisées dans l’histoire de notre ville, canton et pays, et rendre visibles et accessibles leurs accomplissements en vue de construire un avenir égalitaire et inclusif.

D’autres villes de Suisse romande ont déjà fait un premier pas vers une représentation plus équilibrée dans leurs noms de rues et emplacements; Genève, Lausanne et Neuchâtel ont ainsi décidé de nommer plusieurs rues d’après des personnalités féminines, alors que Lausanne et Vevey ont baptisé une place de leur centre-ville "Place du 14 juin" en l’honneur de l’inscription dans la constitution suisse du principe d’égalité le 14 juin 1981 et de la mobilisation massive des 14 juin 1991 et 2019.

En ville de Fribourg, plusieurs initiatives ont également permis de mettre en lumière cette thématique. On pense, par exemple, aux actions du collectif de la grève féministe rebaptisant plusieurs rues et places fribourgeoises lors des mobilisations du 14 juin, aux balades historiques guidées organisées par l’association Femmes à Fribourg, ou encore au parcours "es (in)connues" récemment proposé par la Ville de Fribourg. Donner une plus grande visibilité aux femmes et aux personnes sexisées dans l’espace public, en leur accordant notamment plus de noms de rues et emplacements, serait un pas concret et important pour mieux visibiliser et légitimer leur présence dans les rues et leur rôle dans l’Histoire.

Le postulat n° 21 demande par conséquent au Conseil communal d'étudier la possibilité d’augmenter la représentativité des femmes et des personnes sexisées dans l’espace public, en consultation et collaboration avec les associations fribourgeoises actives dans ce domaine, notamment en:

  • nommant des rues et emplacements actuellement dépourvus de noms et/ou renommant des rues et emplacements, d’après des femmes et des personnes sexisées, ou d’après des noms féminins;
  • nommant ou renommant une rue ou un emplacement central en l’honneur du mouvement féministe des 14 juin 1991 et 2019 qui a marqué les luttes pour l’égalité et mobilisé massivement la population.

Réponse du Conseil communal

  1. Représentation féminine dans les noms de rues et d’emplacements: état de la situation en ville de Fribourg

En ville de Fribourg, 79 noms de rues ou d’autres emplacements sont attribués à des personnalités. Une forte majorité est effectivement dédiée à des personnalités masculines. En plus des huit noms mentionnés dans le postulat, trois autres rues, routes ou places sont attribuées à des figures féminines. Cela représente 14% du total des emplacements dédiés à des personnalités. Il s’agit, dans le détail, des routes, rues, ruelles et places suivantes: rue Athénaïs-Clément, place Catherine-Repond, rue Eléonore-Niquille, rue Madeleine-Eggendorffer, rue Marcello (Adèle d’Affry), place de Notre-Dame, ruelle de Notre-Dame, route Sainte-Agnès, place Sainte-Catherine, route Sainte-Thérèse et rue de la Samaritaine.

A l’exclusion du nom de Marcello, pseudonyme masculin choisi par Adèle d’Affry, que l’on pourrait symboliquement considérer dans la catégorie des personnes sexisées, aucun nom de rue n’est dédié à ces personnes.

En outre, il convient de préciser que plusieurs dénominations sont dédiées à des professions ou à des conditions particulières: dix dénominations sont liées à des activités historiquement masculines et déclinées au masculin (Maçons, Grenadiers, Bouchers, etc.), trois sont déclinées au féminin (Epouses, Dentellières, Brodeuses) et une est indéfinie (Bolzes). Cela représente, ici aussi, 14% de présence féminine.

De manière générale, on constate clairement que les modèles socio-culturels en vigueur par le passé ont eu pour conséquence de n’avoir pas mis les femmes en valeur comme il se doit. La nomenclature actuelle des rues et places n’est ainsi que peu représentative des femmes et des personnes sexisées dans l’espace public de la ville.

  1. La situation dans d’autres villes

Un tour d’horizon comparatif de la situation dans d’autres villes permet de constater que Fribourg n’est malgré tout pas la plus mauvaise élève en la matière.

Ainsi, dans le canton de Vaud, si les communes se penchent sur la question de la représentativité, les femmes restent encore très peu présentes. La Ville de Lausanne compte 107 dénominations dédiées à des personnalités, dont sept féminines seulement. En juin 2022, la commune de La Tour-de-Peilz a dédié une première rue à un nom de femme. En ville de Payerne, le Législatif communal, bien qu’acquis sur le fond, a refusé en avril 2022 une motion visant à féminiser les noms de rues[1].

La situation dans le canton de Berne ne semble pas non plus satisfaisante.[2] En ville de Berne, sur 850 rues, chemins ou places, 150 sont dédiés à des figures masculines et 31 à des figures féminines. La Commune a toutefois décidé, en 2019, de privilégier la dénomination de nouvelles rues en l'honneur de femmes, et ce jusqu’à l’atteinte de la parité. En ville de Bienne, seuls cinq noms de rues et places portent des noms de femmes.

La Ville de Genève a, pour sa part, lancé un processus de féminisation des rues en deux étapes, avec le changement de dix noms en 2020 et de neuf noms supplémentaires en 2022. Avant cela, seuls 7% des rues portant des noms de personnes y faisaient référence à des femmes[3].

  1. Pratiques de nomenclature en vigueur à Fribourg

Sous l’Ancien Régime, certaines rues des quartiers historiques bénéficiaient d’un nom usuel, mais il n’existait pas de nomenclature systématique. Ce n’est que dès la seconde moitié du XIXème siècle que la pratique de nommer systématiquement toutes les rues de la ville est apparue. Au moment du développement des nouveaux quartiers, des rues ont d’ailleurs parfois été baptisées en série.

Depuis le XIXème siècle, le Conseil communal a essentiellement privilégié l’utilisation des typologies suivantes dans la nomenclature des rues:

  • des toponymes locaux déjà usités (chemin du Breitfeld, route de Chamblioux, route des Daillettes, etc.);
  • des réalités géographiques locales (chemin des Grottes, impasse de la Butte, chemin des Falaises, etc.);
  • des liens avec des institutions ou entreprises présentes (chemin de l’Observatoire , route de la Fonderie ou des Arsenaux, chemin du Musée ou des Archives, sentier des Casernes, etc.);
  • des plantes (route des Acacias, chemin des Fougères, impasse des Glycines, etc.) et des animaux (chemin des Hirondelles, chemin des Mésanges, etc.);
  • des personnalités publiques reconnues.

En ce qui concerne l’utilisation de noms de personnalités, même si aucun règlement ne le formalise, la bonne pratique sous-tend de dédier des rues ou d’autres emplacements uniquement à des personnalités décédées et ayant des mérites reconnus en faveur de la ville de Fribourg ou de la société en général. A noter finalement qu’il n’existe actuellement plus d’espace sans dénomination en ville de Fribourg.

  1. Position du Conseil communal

Le Conseil communal est pleinement conscient de la sous-représentativité des femmes et des personnes sexisées dans les noms de rues et emplacements. Il est prêt à s’engager à mettre davantage en valeur les femmes dans l’espace public de la ville de Fribourg en donnant une meilleure visibilité aux femmes ou personnes sexisées qui ont construit notre passé ou qui ont participé à son rayonnement, notamment via la pratique du nommage de rues ou de places.

Cependant, plutôt qu’en rebaptisant des emplacements déjà dotés d’une nomenclature officielle, le Conseil communal préfère agir par les mesures énumérées ci-après au point 5. Il privilégie en effet d’appliquer des dénominations féminines pour de futures nouvelles rues qui viendront à être créés à l’avenir. Rebaptiser un emplacement pourrait en effet être perçu comme une action intrusive, pouvant créer du mécontentement des auprès des habitantes et habitantes[4], car touchant aux sentiments d’identité et d’appartenance.

En outre, cela occasionne pour la Ville des frais importants (changements de plaques, travail administratif important) de même que des frais et des complications potentielles pour les particuliers·ères, (changements d’adresses, confusion pour la clientèle des entreprises et perte de visibilité, etc.). Il faut de plus rappeler que chaque nomenclature a eu, au moins à un moment ou l’autre, sa raison d’être: la modifier impliquerait une perte de substance historique. Le Pont-Muré, par exemple, n’existe plus depuis le XVème siècle, mais son nom reflète une évolution importante de la ville. Rebaptiser des rues telles que celles de la Fonderie, des Arsenaux et des Archives ou le Passage du Cardinal, entreprises et institutions qui ne s’y trouvent désormais plus, constituerait une perte historique pour notre cité.

Finalement, il doit encore être rappelé que des mérites personnels reconnus en faveur de la Ville ou de la société doivent impérativement être associés à l’octroi d’une nomenclature officielle.

  1. Mesures prises et engagements pour l’avenir

Une première et importante initiative a d’ores et déjà été prise par le Conseil communal, qui a adopté au mois de mai 2022 la dénomination d’une nouvelle "ruelle Laure-Dupraz" à proximité de l’Université de Miséricorde. Depuis peu validée par la Commission cantonale de nomenclature, cette ruelle honorera donc Laure Dupraz (1896-1967), pédagogue, directrice de l'école secondaire de jeunes filles de Fribourg et première professeure ordinaire de Suisse romande. La ruelle sera inaugurée au premier semestre 2023 et une communication sera faite à cette occasion.

En outre, le Conseil communal s’engage à privilégier à l’avenir la dénomination en l’honneur de personnalités féminines ou sexisées des rues et emplacements qui verront nouvellement le jour en ville de Fribourg. En parallèle, un groupe de travail, composé de représentant·e·s des Secteurs du cadastre et des archives, est actuellement chargé d’identifier des emplacements existants qui pourraient être dissociés d’une dénomination cadastrale existante ("séparation" physique). Ces lieux pourront alors le cas échéant être dédiés à des femmes ou des personnes sexisées. A noter qu’il est également envisagé de mieux valoriser les noms de rues existants, notamment ceux dédiés à des femmes, par le biais de codes QR renvoyant vers des notices biographiques.

Le postulat n° 21 est ainsi liquidé.

[1] https://www.laliberte.ch/news/regions/broye-lac/a-payerne-une-demande-de-feminiser-les-rues-rejetee-643082

[2] https://www.20min.ch/story/so-wenige-strassen-sind-in-berner-staedten-nach-frauen-benannt-930469606787

[3] https://www.geneve.ch/fr/actualites/ville-geneve-feminise-noms-rues-supplementaires

[4] C’est par exemple documenté à Genève: https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualites/Geneve/20221122109057-La-rue-du-Midi-resiste-a-la-feminisation-dans-la-derision.html